Le recrutement sous pression de la cancel culture

Le contexte

En mai 2021, la plus fameuse entreprise tech du monde, Apple, licencie un haut potentiel tout juste embauché au service marketing. La cause : une pétition interne désapprouvant un ouvrage dont il est l’auteur, décrivant son expérience dans la Silicon Valley en termes peu amènes envers les femmes de la tech.

Most women in the Bay Area are soft and weak, cosseted and naive despite their claims of worldliness, and generally full of shit

Le jugement est abrupt, mais l’ouvrage date de cinq ans, a été édité par la maison HarperCollins, et est devenu un “New York Times Best Seller”. Les propos n’engagent que leur auteur, sans viser personne nommément et ne tombent pas sous le coup de la loi.  

La levée de boucliers de 2000 signataires a malgré tout fait plier l’employeur : quelques jours après son entrée en fonction, Antonio Garcia Martinez était remercié. En outre, les pétitionnaires ont suspecté qu’Apple n’avait pas pu ignorer ce passé littéraire, et demandaient à leur employeur que de telles erreurs ne se reproduisent plus.

Les conséquences

  1. Perte d’un employé jugé qualifié, débauché de Facebook et sélectionné pour sa compétence professionnelle
  2. Pression sur le recrutement et introduction de critères moraux à l’embauche, soumis à l’assentiment du comité interne des pétitionnaires
  3. Création d’un précédent pouvant amener à “enquêter” sur les activités annexes des collaborateurs ou des candidats.

“Think different” mais pas trop

Le slogan iconique de la marque à la pomme – Think different – donnait toute latitude à Apple pour transformer cette histoire en opportunité. En tant que marque de premier plan pour toute une génération de digital natives – qui sont mieux placés que personne pour savoir que nous avons tous sur internet un passif, une réputation qui nous précède, positive ou négative mais faisant partie de notre histoire et ne présageant pas de nos compétences professionnelles… Apple pouvait développer une position de principe intéressante sur la liberté d’expression, le droit à l’oubli, ou encore l’advocacy et la séparation entre vie privée et professionnelle… 

Cette position de principe, nuancée par une prise de distance avec le fond des propos du livre d’Antonio Garcia Martinez, et intégrée à son éthique d’employeur, pouvait occasionner une belle opération de marque, apportant consistance à sa promesse de favoriser la pensée non conforme.

Au lieu de cela, Apple s’est montrée soumise à une culture du “cancelling” politiquement correct, et à une dynamique de marque conformiste bien compréhensible mais potentiellement décevante dans le milieu geek.

Que faire ?

  • Face à la pression, se donner le temps : il est courant de croire qu’il faille répondre rapidement, et c’est dans cette précipitation que les plus mauvaises décisions se prennent. Au-delà du cas particulier, Apple devait réfléchir à la conséquence : en l’occurrence, un “chèque en blanc” donné aux pétitionnaires pour contrôler des recrutements ultérieurs.
  • Se référer à sa promesse ou sa raison d’être : lorsqu’elle a été sérieusement élaborée, elle est une boussole qui peut guider tous les choix de l’entreprise, et en tous les cas qui les légitime. C’était le cas, en l’occurrence.
  • Justesse et audace : toutes les marques n’ont pas avantage à exploiter une telle situation, mais Apple, en l’occurrence, veut incarner une certaine impertinence. Travaillant une justification propre et pérenne d’employeur responsable et connecté aux enjeux d’e-réputation, pouvait doter son image employeur d’un argument fort, sur un marché concurrentiel où il aurait résonné.
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Et comme si ça ne suffisait pas...

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